La campagne des Ardennes (ép. 2)

Les 7 et 8 mai de l'an de grâce 2011, un groupe de 35 Français du Nord-Pas-de-Calais appartenant à la célèbre organisation non gouvernementale, apolitique, laïque et à but non lucratif des Gais Lurons de 1948 défraya la chronique dans les Ardennes sedanaises et sur la Moselle dans les environs de REMICH. En voici le récit (en deux épisodes), établi à partir du témoignage authentique de l'un des acteurs de cette aventure exceptionnelle, Didier B.

Journée du 8 mai 2011

Le soleil s'est levé depuis quelque temps déjà sur Sedan lorsque les premiers Gais Lurons investissent la salle à manger de l'hôtel pour un petit déjeuner copieux. Le buffet est très complet, le cadre fort sympathique, l'ambiance feutrée. Parmi les derniers à rejoindre la salle, Franck et Didier font une entrée à peu près aussi discrète qu'un bouton sur le nez de Kate. Courbaturés de leur partie de jeu de paume de la veille et les yeux rougis de leur lutte nocturne avec les fantômes locaux (voir l'épisode 1), ils se jettent (avec classe toutefois) sur le buffet. Il faut dire que, comme tous les autres Gais Lurons, ils vont avoir besoin de forces pour cette deuxième journée de campagne qui devrait les emmener sur les rives de la Moselle...

Le bus s'ébranle vers 9h30, comme prévu, sous un beau soleil. La journée s'annonce chaude...
Après avoir franchi en douce la frontière franco-belge, la valeureuse troupe ch'ti traverse sans encombre et sans escale le Luxembourg. Le bus pénètre dans Remich, charmante bourgade d'environ 3000 habitants, peu avant 11h30. Le timing initial a été parfaitement respecté par Laurent.

La troupe fait une première halte au niveau de l'embarcadère de Navitours, le temps de prendre les derniers renseignements concernant l'opération amphibie du jour. Le bus se déplace ensuite vers un parking, à quelques dizaines de mètres de là. Il est l'heure pour les Gais Lurons d'absorber leur potion magique et apéritive, dans le bus même, à l'abri des regards indiscrets.
L'embarquement à bord du Roude Léiw est réalisé à 12h15. Quinze minutes plus tard, le fier navire appareille sous les vivats d'une foule nombreuse venue acclamer les Gais Lurons, dont la victoire de la veille fait la une de tous les canards des Ardennes (belges, luxembourgeois et français dans une moindre mesure). Quelques Allemands, sur la rive opposée, saluent eux aussi ces valeureux touristes venus des grandes plaines du Nord. Certains d'entre eux ont d'ailleurs en mains une carte Michelin (version allemande) de la région Nord-Pas-de-Calais, et il n'a pas échappé aux yeux de lynx de certains Gais Lurons que la cité de Wavrin y est entourée d'un trait de feutre aussi admiratif que germaniquement précis (note de l'auteur : la véracité de cette anecdote reste difficile à vérifier. Bien que rapportée par des témoins dignes de confiance, certes déjà bien avancés dans l'absorption de vin mosellan, il n'a pas été possible de la certifier de manière irréfutable, les cartes Michelin en question ayant mystérieusement disparu. De là à penser que les détenteurs de ces cartes étaient en réalité des espions à la solde de quelque groupe teuton obscur ayant pour intention de dérober, un jour, la recette de la potion magico-apéritive des Gais Lurons, il n'y a qu'un pas qu'il est tentant de franchir...).

A bord, la salle de banquet est déjà dressée, et les Gais Lurons prennent place autour des tables situées à la proue du navire. Tout un symbole. Juste avant l'ouverture du buffet gargantuesque, Franck, Didier et Laurent montent sur le pont supérieur pour s'assurer que le vaisseau amiral de Navitours franchira sans encombre l'écluse qui se présente déjà sur l'itinéraire. Tout va bien : les pilotes sont à leur place, l'équipage s'affaire et prépare les amarres. Les négociations avec les éclusiers se déroulent sans difficulté et le passage est accordé : les Gais Lurons vont pouvoir porter haut leurs couleurs au fil des méandres de la Moselle, dans un décor où la vigne est omniprésente.
Le repas est vraiment sympa et l'ambiance particulièrement bon enfant. On regrettera juste la tactique sournoise adoptée par le personnel du bord, consistant à ne pas enclencher la climatisation dans la salle pour laisser monter la température qui, comme l'ambiance, grimpe rapidement. Ainsi, avec une efficacité visiblement bien éprouvée, le stock de l'eau en bouteille vendue à prix d'or s'écoule aussi sûrement que les flots sur lesquels navigue le Roude Léiw.
Pendant ce temps-là, le vaisseau a fait demi-tour et franchit de nouveau l'écluse, sous l’œil impassible d'un héron qui, ne sachant pas trop quoi faire en ce beau dimanche de mai, est venu assister à cette manœuvre immortalisée par quelques boîtiers d'origine japonaise certifiée. Il faut dire qu'il n'est pas tout à fait anodin, ce deuxième franchissement, puisque ce sont deux navires à la fois qui franchissent l'obstacle. En effet, le Roude Léiw a été rejoint dans son périple par un deuxième navire, qui le suivra tout l'après-midi. A bord, un commando aurait eu l'intention, selon l'enquête menée par de fins limiers recrutés par les Gais Lurons à leur retour sur leurs terres, de se lancer à l'abordage du Roude Léiw afin d'y capturer la présidente en chef des Gais Lurons et de l'échanger ensuite contre la recette de la célèbre potion wavrinoise. Cette tentative échouera de peu, mais son évocation, lors des veillées au coin du feu dans les chaumières nordistes, continue aujourd'hui encore de faire passer un frisson dans le dos de chacun, tant il est vrai que cette opération aurait pu changer irrévocablement le cours de l'Histoire. De nombreuses versions circulent quant aux raisons de l'échec de ce kidnapping, ce qui n'est pas étonnant car on n'en connaît toujours pas les raisons...

Revenons à nos Gais Lurons, qui assoient durablement leur réputation sur les eaux calmes et de plus en plus encombrées de la Moselle. Sur les rives, tant allemandes que luxembourgeoises, il y a de plus en plus de monde venu admirer, acclamer parfois, photographier souvent, notre valeureuse troupe qui navigue triomphalement sur la Moselle. Des jetskis se disputent le privilège, avec d'autres embarcations motorisées, de pouvoir escorter au plus près le Roude Léiw. Ce ballet incessant est observé avec fierté et bienveillance par les Gais Lurons montés sur le pont supérieur pour profiter du soleil, du paysage, et des acclamations toujours plus nombreuses de la population locale ou touristique.

Mais toutes les bonnes choses ont une fin, et voici que se profile déjà la bonne ville de Remich et son port fluvial. Les quais sont noirs de monde. Lorsque les Gais Lurons débarquent enfin, vers 16h, sous les yeux de la foule en liesse, ils pensent que les clefs de la cité vont leur être remis, comme gage de reconnaissance éternelle des habitants de Remich pour les Ch'tis. Malheureusement, et ce sera la seule fausse note de cette campagne épique, un émissaire de la municipalité remet à Marylène, présidente des Gais Lurons et commandant en chef de l'expédition, une missive officielle du maire indiquant que, faute d'avoir pu retrouver l'employé municipal qui est parti en week-end en gardant sur lui les clefs permettant d'accéder à la salle où sont gardées celles de la ville, il ne sera pas possible de remettre celles-ci aux Gais Lurons. Toutefois, elles devraient parvenir sous huitaine directement au siège de l'association, grâce aux bons offices de Chronopost. Magnanime et faisant preuve de sa légendaire mansuétude, Marylène accepte ces excuses qui auraient pourtant pu être perçues comme un camouflet et ordonne alors le repli en bon ordre vers les terres wavrinoises.

Pendant ce temps-là, Laurent est parti récupérer le bus. Or celui-ci est bloqué sur le parking où il est stationné depuis la fin de la matinée. La mission de ces deux jours échouerait-elle si près du but ? Car sans bus, point de repli. Les Gais Lurons, à cet instant précis, sont pris au piège. Le coup a été bien préparé : deux véhicules, intentionnellement mal garés et appartenant à une mystérieuse organisation clandestine locale, empêchent le bus de quitter le parking. Mais c'est sans compter sans l'esprit tactique acéré de Laurent qui a alors l'idée lumineuse (enseignée dans les académies militaires du monde entier sous le nom de "coup de Laurent") de faire faire à son véhicule une marche arrière à contre-sens de plusieurs dizaines de mètres. Cette manœuvre, aussi désespérée que géniale, ne peut toutefois réussir qu'avec l'aide de deux hommes audacieux, sans peur et sans reproche, qui auront pour mission de bloquer la circulation démentielle de cette fin d'après-midi afin de permettre à Laurent de sortir du traquenard. Ces deux hommes, ce sont les gardes du corps personnels de la présidente, Franck et Didier. La manœuvre est un succès total : en moins de 15 minutes, le bus est dégagé. A 16h46, les Gais Lurons ont fini d'embarquer et s'exfiltrent en douceur de Remich. Pour ce haut fait d'armes, notez bien que Franck et Didier se verront remettre, lors d'un banquet le 16 octobre prochain à Wavrin, la médaille d'honneur des Gais Lurons, avec palmes et dentier en argent. Laurent, quant à lui, se verra décoré du bigoudis de bronze, avec mention "campagne des Ardennes" en lettres d'or.

Le retour se déroule conformément au plan établi par l'état-major wavrinois. A 17h30, un coup de main est réalisé dans une station service du Luxembourg, où les Gais Lurons effectuent un recomplètement massif en cartouches (lesquelles partiront en fumée les jours suivants et ne laisseront aucune trace de leur existence, mais vindediou, au prix des clopes en France, c'est une affaire !!!).
Les dernières gouttes de potion apéritive sont servies à bord du bus, pendant le voyage, aux environs de 18h45 (la petite histoire retiendra à ce sujet que trois petits jaunes ont été servis sans avoir été enregistrés et dûment payés. La perte financière fut évidemment négligeable, mais cet incident laissa quelques traces dans l'esprit de certains des lieutenants de l'état-major des Gais Lurons et entraîna une réforme profonde du système comptable mobile de l'association lors des campagnes futures).
Vers 19h30, la pause dîner est réalisée dans une station service belge dont l'aspect général de propreté n'a d'égale que l'amabilité des deux ou trois tenancières du mini-restaurant, dont le souci premier n'est pas l'accueil du client mais l'impérieuse nécessité de ne surtout pas fermer avec ne serait-ce que quelques minutes de retard. Quitte à baisser les rideaux de fer avant même que les quelques clients encore attablés n'aient quitté la salle de restauration, et ce afin d'empêcher un plein bus de touristes de venir s'attabler. Mesquin, mais drolatique à souhait. Franck et Didier (encore eux !) sont les témoins et acteurs malgré eux de cette scène surréaliste. Comment décrire cet instant où Didier, parti satisfaire un besoin naturel dans des toilettes assez douteuses et ayant laissé Franck seul dans la salle du restaurant, se retrouve quelques minutes plus tard séparé de son compère par le rideau de fer : Franck enfermé à l'intérieur, Didier suppliant (en usant de tout son charme) les employées un rien butées de le laisser entrer pour terminer le café qu'il a commandé quelques instants auparavant, le tout sous les yeux médusés des quelques touristes belges et français qui se prennent la tête avec nos tenancières à l'esprit commerçant hautement développé. Bref, les deux gardes du corps enfin libérés, le bus peut reprendre la route vers la France aux environs de 20h15. Nous ne verrons dans cet incident aucun lien direct avec la campagne des Gais Lurons : pas de coup d'un commando ennemi, pas de conspiration visant à enlever ces deux héros nordistes. Non, rien de tout ça. Juste une histoire belge.

Petit à petit, au fil des kilomètres, le calme finit par régner dans le bus qui avale le bitume (en mauvais état) des autoroutes belges et franchit victorieusement, fièrement et à allure réglementaire la frontière française. Il est 21h50 lorsqu'il s'immobilise enfin sur la place principale de Wavrin. Mission accomplie. Succès sur toute la ligne. Le débarquement se fait dans la bonne humeur, les sourires et les au-revoir annonciateurs de la dispersion générale de la troupe. La présidente salue chacun avant de rembarquer dans le bus et être déposée, avec ses deux gardes du corps et quelques glacières vides, à Allennes-les-Marais, où la fidèle épouse de Franck n'a pas hésité à braver la nuit et à enfiler un survêt' par dessus son pyjama pour venir accueillir et véhiculer ses héros. C'est beau l'amour...

C'est sur cette note particulièrement romantique que se termine l'épique campagne des Gais Lurons dans les Ardennes et sur la Moselle. Une campagne qui laissera des traces indélébiles dans les esprits de chacun des héros qui y ont participé, quel que soit son âge d'ailleurs. Une campagne qui trouvera en outre sa place dans tous les bons manuels d'histoire et sera à l'origine d'une des plus grandes et plus belles légendes du royaume des Ch'tis, racontée, chantée et jouée de génération en génération, jusqu'à la nuit des temps (enfin presque).

Note finale de l'auteur : ces deux articles, qui retracent le plus fidèlement possible ces deux jours historiques de la vie des Gais Lurons, n'ont été écrits sous aucune contrainte, même pas sous sous l'emprise de l'alcool, ni même après avoir fumé la moquette. L'auteur assume chaque mot, chaque virgule, chaque délire de cette prose en deux temps, dont la valeur littéraire doit être à peu près inversement proportionnelle au plaisir qu'il a pris à les écrire.

Les Ardennes - 07 & 08 mai 2011 (photos Didier)
Les Ardennes - 07 & 08 mai 2011 (photos Franck)
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